Foyers plongés dans le noir, éclairages nocturnes éteints, fermetures des usines et bureaux, non ce n’est pas un scénario de film catastrophe, mais la réalité de la population chinoise depuis mi-août. En effet, la pénurie d’électricité historique que traverse actuellement la Chine 🇨🇳, nous rappelait subtilement que l’approvisionnement en électricité n’est pas si évident et pas autant assuré que l’on pouvait le penser, même pour un pays en pleine croissance économique.
Et il n’aura pas fallu longtemps pour que cette crainte devienne très palpable en France. En effet, le RTE annonçait, dans le cadre de son analyse prévisionnelle du 19 novembre sur l’approvisionnement d’électricité de la France cet hiver, un niveau élevé de vigilance. Comment la situation a-t-elle évolué depuis la mi-novembre ? La France risque-t-elle une véritable pénurie d’électricité ? Les usines vont elles devoir fermer ? Comment une pénurie d’électricité peut être possible en France ? Nous allons répondre à vos questions et inquiétudes sur le sujet.
Pourquoi une pénurie d'électricité est possible en France en 2022 ?
Le spectre d’une pénurie d’électricité en France n’est pas le fait d’une seule problématique, mais résulte de plusieurs facteurs, prévisibles ou non, qui posent déjà des difficultés et/ou que l’on redoute de voir s’additionner à la situation actuelle.
Production défaillante
La production d’électricité en France, en cours de décarbonation, a subi des carences de production, parfois prévues mais qui devaient être amorties par de nouvelles solutions de production, et d’autres inattendues suite à plusieurs événements comme la crise du COVID.
Fermeture définitive des centrales au fioul et au gaz
Premièrement, dans le but de réduire l’empreinte carbone de la production d’énergie en France, plusieurs centrales alimentées par des énergies fossiles (fioul et gaz principalement) ont été fermées. Ces fermetures représentent 10 GW de production en moins pour le parc électrique français, soit l’équivalent de 10 réacteurs nucléaires.
Ces fermetures étaient prévues et nécessaires pour la sauvegarde de l’environnement, cependant elles devaient pouvoir être amorties par la production d’énergie à la fois des centrales nucléaires actuelles et par les solutions de production d’énergie renouvelable. Ce qui, on va le voir, n’est pas entièrement le cas.
Plusieurs centrales nucléaires fermées pour maintenance
Suite à la détection par l’ASN (autorité de sûreté nucléaire) de défauts dans les circuits de secours, plusieurs réacteurs nucléaires sont actuellement fermés en France, notamment à la centrale de Chooz dans les Ardennes et de Civaux dans la Vienne.
Mais d’autres centrales font défaut par intermittence pour des raisons diverses, comme le réacteur 3 de Cattenom qui a été arrêté de force à 3 reprises en octobre ou encore son réacteur 1 qui n’a pas fonctionné pendant une demi-journée en décembre. Des anomalies liées à des actes de maintenances bénins et indolores sur le réseau quand celui-ci peut largement assurer la charge, mais actuellement ce type de défaillance est plus inquiétante.
Ajoutons à ces problématiques les retards à répétition empêchant le lancement du nouveau réacteur EPR de Flamanville prévu pour s’ajouter initialement au réseau en 2018 et encore repoussé à fin 2022.
De plus, suite à des reports engendrés par la crise du coronavirus, plusieurs programmes de maintenances de réacteurs nucléaires qui devaient normalement être effectués en décalé au début de la crise du Covid, sont reportés au mois de février. Par conséquent, 13 réacteurs nucléaires supplémentaires seront mis à l’arrêt en plein hiver.
Développement des EnR insuffisant
Nous l’avons déjà vu dans notre article sur les trajectoires énergétiques du RTE à horizon 2050, un développement rapide et important de la production des énergies renouvelables est indispensable pour assurer le suivi de la consommation d’énergie.
Or, même si le déploiement des sources d’énergies vertes (solaire, éolien…) existe et s’accélère, ce n’est pour l’instant pas suffisant pour amortir les baisses de production induite par l’arrêt des sources fossiles et des problèmes d’intermittence actuel de l’énergie nucléaire.
De plus, le manque de vent actuellement en France fait que l’éolien peine à produire la puissance énergétique prévue pour cette période.
Import d'énergie au maximum
Pour amortir ces baisses de production, la France a établi un nouveau record en import d’énergie depuis l’étranger avec 13 407 MW importés le 20/12/2021, du jamais-vu. Importée depuis les centrales à charbon allemande et les centrales à gaz de Russie, cette énergie carbonée est aussi très chère.
En effet, en raison de tensions politiques entre l’Europe et la Russie, le coût de cette énergie importée, en plus d’être un record en volume, l’est aussi en terme de prix puisque le coût du MWh est passé de 40 € en décembre 2020 à 365 € pour décembre 2021. Coût qu’il convient de limiter puisqu’il faudra le payer tôt ou tard et qui est donc un rythme que la France ne peut pas conserver. Le gouvernement a cependant annoncé que les tarifs resteraient gelés en 2022, mais il faut s’attendre à des augmentations sur les factures à partir de 2023.
Consommation importante
Déjà sous tension pendant les fêtes
En cette fin de mois de décembre, la situation énergétique française est déjà très tendue. Or, contrairement à la croyance populaire, la période des fêtes est traditionnellement une période durant laquelle la consommation énergétique est plus basse. Principalement parcequ’une partie importante des usines, très consommatrices en électricité, sont en pause ou au ralenti pendant les fêtes.
Situation météo
L’estimation et la mise en vigilance particulière du RTE de l’approvisionnement énergétique en France, et donc la potentielle pénurie d’électricité prévue, est d’après le RTE principalement dépendant des conditions météorologique de l’hiver. En effet, la pénurie sera d’autant plus difficile à éviter si les températures de cet hiver sont plus froides que la normale.
Le phénomène climatique Niña se renforce dans le pacifique ce qui devrait générer un refroidissement global sur la planète notamment cet hiver. Cependant, l’Europe devrait normalement être relativement épargnée par ce refroidissement. D’après Météo France, la tendance pour cet hiver devrait être similaire aux normales voir légèrement supérieures aux normales de saison.
Que se passe-t-il en cas de pénurie d'électricité ?
Dans le cas où, une pénurie d’électricité en France serait inévitable, plusieurs leviers et actions sont prévus pour éviter à tout prix d’impacter la vie de tous les jours et d’éviter un « black-out » général.
Écogestes
Tout premier levier pouvant permettre d’éviter des pénuries d’électricité, la sensibilisation des particuliers aux écogestes. En réduisant l’utilisation abusive de l’électricité, et en faisant baisser la consommation générale des foyers, on permet au réseau d’être moins rapidement surchargé. La baisse générale de la consommation est de toute façon un axe d’amélioration primordial déjà mis en avant dans les prévisions du RTE à horizon 2050.
Dans ces écogestes, on retrouve l’achat de matériel moins énergivore, l’amélioration de l’isolation du logement, etc. Mais en cas de pénuries immédiates ou de situation tendue comme actuellement, les différents organismes de l’énergie (RTE, EDF, Engie…) appellent d’autant plus les ménages à éviter de laisser les appareils en veille, à éteindre les lumières allumées inutilement, à dégivrer le congélateur, à ouvrir les volets pour profiter de la lumière du jour pour la lumière et le chauffage, à bien choisir les cycles du lave-vaisselle ou de la machine à laver pour éviter les pics de consommation, etc..
Effacements industriels
En cas de tension sur le réseau d’approvisionnement, certaines entreprises et industriels, les plus gros consommateurs principalement, ont dans leurs contrats énergétiques des clauses d’effacements industriels. C’est-à-dire que ces derniers sont payés en cas de tension trop forte sur le réseau électrique pour « s’effacer » du réseau en réduisant ou en supprimant totalement leur consommation en électricité, et donc en mettant en pause leur activité.
Interruptibilité
Si la pénurie d’électricité persiste, que les écogestes et les effacements industriels ne sont pas suffisants pour permettre un retour à l’équilibre entre la production et la consommation, des « leviers exceptionnels » sont disponibles, notamment l’interruptibilité.
Sans prévenir, les gestionnaires de réseaux électriques, RTE et Engie (principalement), peuvent couper l’approvisionnement en électricité des industriels en seulement quelques secondes. C’est une mesure exceptionnelle réalisée sur des industriels déjà au courant de cette possibilité (elle est contractualisée.) et pour laquelle les industriels sont dédommagés.
Baisse de tension sur le réseau
Autre possibilité, qui serait une grande première dans l’histoire de l’approvisionnement d’électricité en France, il est possible de baisser la tension du réseau électrique général. Imperceptible dans l’utilisation de tous les jours des utilisateurs, le réseau électrique serait moins puissant. Les différents appareils électriques du foyer fonctionneraient toujours, mais avec une puissance électrique inférieure. Par exemple : on pourrait remarquer un chargement plus lent de nos smartphones.
Coupures ciblées des particuliers
Enfin, des coupures localisées peuvent aussi être effectuées. Discriminantes pour les utilisateurs de la région ciblée, elles permettraient néanmoins d’éviter un black-out généralisé à toute la France. Ce levier prévoit par exemple de couper l’électricité par tranche de 2 h par zone géographique jusqu’à la fin de la pénurie d’électricité.
D’après Nicolas Goldberg, experts en énergie chez Colombus Consulting, ce scénario « catastrophe » devient probable dans la situation actuelle. En précisant que c’est toujours mieux qu’un black-out général.
Black-out général
Barbara Pompili, la ministre de la Transition écologique, a déclaré sur France Inter, « il n’y aura pas de black-out général d’ici à la fin de l’hiver« . En effet, l’ensemble des dispositions citées plus haut sont des gardes fous qui rendent très peu probable l’événement d’un black-out général. D’autant plus que malgré tout, la production d’électricité en France est aujourd’hui encore importante.
Cependant, des baisses de tension, voir des coupures ciblées restent possibles.
Quand les pénuries d'électricité seront le plus à craindre ?
D’après les différents éléments mis en avant précédemment, si une pénurie d’électricité devait survenir cet hiver, quelles sont les périodes de cet hiver les plus à risque ?
Allons-nous manquer d'électricité pour les fêtes de fin d'années ?
C’est la partie de l’hiver où une pénurie d’électricité est la moins probable. En effet, les fêtes de fin d’années sont traditionnellement une période de baisse de la consommation d’électricité. Contrairement au lieu commun, les illuminations de Noël ne sont pas autant consommatrices en énergie que la production industrielle.
Or, pendant les fêtes, une partie importante des industriels et entreprises très consommatrices en énergie sont fermées ou en bas régime, allégeant fortement la consommation d’énergie.
Cependant, la tension actuelle sur le réseau de la période des fêtes est déjà très importante sur le réseau. Aujourd’hui amortissable via de fortes importations, cette tension laisse présager de grosses problématiques pour l’acheminement de l’électricité pour le mois de février.
Le début d'année 2022
Une fois les fêtes de fin d’année passée, l’activité économique va reprendre, accompagnée d’une forte augmentation de la demande énergétique. Demande qui en l’état sera difficilement compensée par la production qui est déjà à son maximum ainsi que les importations.
De plus, comme mentionné plus haut, au mois de février, c’est 13 réacteurs nucléaires supplémentaires qui seront mis à l’arrêt pour maintenance obligatoire (décalées depuis déjà 2 ans). Et donc d’autant plus de raisons qui font qu’une pénurie d’électricité majeure devient de plus en plus probable pour les mois de janvier et surtout février.
Comment éviter des pénuries d'électricité à l'avenir ?
La situation pour ce début d’année 2022 laisse planer une potentielle pénurie énergétique, cependant, elle reste contrôlable, un black-out généralisé étant tout de même très improbable. Cependant, le déséquilibrage entre la consommation et la production, ne va pas aller en s’améliorant avec le temps si la situation du mix énergétique français n’amorce pas réellement sa transformation.
Mais alors, comment faire pour éviter de futures pénuries d’électricité dans les années à venir ?
Accélérer le développement de la production d'EnR
Axe primordial d’après tous les scénarios énergétiques à horizon 2050, l’augmentation très importante des capacités de production d’énergies de sources renouvelables, c’est-à-dire de panneaux solaires, d’éolien terrestre, d’éolien maritime ou encore de géothermie et d’hydrogène doit être une priorité nationale.
Sans une expansion très importante de ces capacités de production, et cela, malgré le déploiement de nouvelles centrales nucléaires, non seulement le mix énergétique en 2050 sera déséquilibré mais dans les années qui précèderont, des pénuries d’électricité seront à attendre.
Remettre en état le parc nucléaire français
Même si, il est privilégié par les gouvernements qui se succéderont jusqu’en 2050, de passer à un mix énergétique 100 % renouvelable, la maintenance et la remise en service, des centrales nucléaires en activité est actuellement inévitable. Sans cela, nous devrons soit importer encore davantage d’énergie à prix d’or depuis l’étranger, soit subir des pénuries, voire les deux.
Améliorer les performances énergétiques des bâtiments
Pour que le déploiement des nouvelles sources d’énergie en France puisse se faire sans générer des pénuries dans le même temps, il faut impérativement faire baisser la consommation électrique des ménages.
En construction
C’est dans cet objectif, que la règlementation environnementale (RE2020) met en place des ensembles de normes et obligations concernant les constructions neuves et peu consommatrices en énergie.
Les bâtiments construits en France à partir de la mise en place de cette nouvelle réglementation devront par exemple être des bâtiments à énergie positive, c’est-à-dire qu’ils devront moins consommer d’énergie qu’ils n’en produisent.
Initialement prévue pour janvier 2020, cette norme rentre finalement en application :
- À partir du 1er janvier 2022 pour la construction de bâtiments d’habitation ou parties de bâtiments d’habitation
- À partir du 1er juillet 2022 pour les bureaux et bâtiments d’enseignement primaire et secondaire (extensions comprises)
- À partir du 1er janvier 2023 pour les extensions des bâtiments cités juste au-dessus ainsi qu’aux bâtiments provisoires.
En rénovation
Concernant la rénovation énergétique (point encore plus important que les nouvelles constructions), de nouvelles normes restrictives pour la vente et la location de passoires thermiques sont mis en place ainsi qu’un nombre important d’aides pour financer des travaux.
Parmi les différentes aides permettant d’améliorer les performances énergétiques des bâtiments en rénovation, nous allons retrouver MaPrimeRénov’, le Chèque Énergie, l’écoprêt à taux zéro de l’ANAH, le crédit d’impôt pour la transition énergétique ou encore la prime à l’autoconsommation. Autant d’aides qui ont comme objectif d’accélérer la modernisation des logements en France pour réduire rapidement le coût très énergivore du chauffage dans le mix énergétique français.
Enfin, les nouvelles réglementations RE2020, prévoient par palier, d’interdire la vente et la location de logement avec des diagnostiques de performance énergétique (DPE) faible comme les G et F.
Faire passer un maximum de particuliers à l'autoconsommation
Une autre possibilité pour à la fois réduire les chances de générer des pénuries d’électricité générale et être moins impacté en cas de pénurie, est le passage à l’autoconsommation. Principalement photovoltaïque, l’autoconsommation consiste à consommer au maximum l’énergie produite par une source d’énergie renouvelable qui nous appartient (panneaux solaires, éolienne…).
En passant à l’autoconsommation, vous réduisez le poids de votre consommation d’énergie sur le réseau général. C’est un acte éco-citoyen en soi. De plus, en cas de pénurie, vous pourrez continuer à consommer l’énergie que vous aurez produite, notamment si vous avez opté en parallèle pour une solution de stockage.